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Seule l’éducation résiste…

jeudi 19 août 2010

Tom Amadou Seck

(Economiste, enseignant à la faculté de droit et sciences politiques, université de Reims.)

Article paru dans Le Monde diplomatique n° 674 de mai 2010.

Avec l’aimable autorisation de Serge Halimi, Directeur du journal.

Choc pour tous les Sénégalais : le 24 décembre 2008, la France, ancienne puissance coloniale, octroie un prêt d’urgence de 83 millions d’euros pour permettre à Dakar de payer ses fonctionnaires. Le même mois, le Fonds monétaire international (FMI) accorde une aide de 75,6 millions de dollars (56 millions d’euros) au pays, dans le cadre du soutien aux Etats victimes de la crise. Porté au pouvoir en mars 2000, le Parti démocratique sénégalais (PDS) de M. Abdoulaye Wade avait été surnommé le « parti de la demande sociale », tant les attentes de la population étaient grandes. Neuf ans plus tard, le Sopi (« changement » en wolof) du slogan présidentiel s’est transformé en sapi (« amertume »).

Avec un revenu intérieur brut par habitant de 711 euros en 2008, le Sénégal demeure parmi les pays les moins avancés, en dépit d’un taux de croissance élevé,(4,7 % en 2007, 2,5 % en 2008) [1] . Premier poste de rentrées de devises, la pêche représente plus de six cent mille emplois directs et indirects .. Mais, entre 2000 et 2008, la part de cette activité dans les exportations s’est effondrée, passant de 37 % à 24 %. La surexploitation des ressources maritimes par les pays de l’Union européenne et le Japon, par le biais de licences de complaisance, a fragilisé la filière.

Le tourisme, qui constitue le second apport de devises, subit pour sa part le contrecoup de l’insécurité en Casamance, site le plus recherché par les voyageurs français. En outre, cette activité pâtit de la concurrence des pays du Maghreb et de l’océan Indien, du coût très élevé du transport aérien vers Dakar (avec la quasi-disparition de la compagnie nationale Air Sénégal International et de l’enchérissement de l’euro par rapport au dollar.

La Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (GOANA), lancée en 2008 à grand renfort d’annonces médiatiques, n’a pas permis d’assurer la sécurité alimentaire. Le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) critique le manque de discussions qui préside à la politique du gouvernement. Il en va de même du plan gouvernemental Retour vers l’agriculture (REVA, 2006-2015), destiné à lutter contre l’émigration et l’exode rural, notamment des jeunes. L’investissement prévu - 31,1 milliards de francs CFA (55 millions d’euros) - donne la priorité aux cultures d’exportation tout en voulant assurer ... la sécurité alimentaire, dont la crise économique et financière récente a montré la véritable urgence. Selon M. Mamadou Cissokho, l’un des responsables du CNCR, il faudrait plutôt « promouvoir ensemble un projet de société ( ... ). Nous devons, entre autres, travailler à faire comprendre aux familles urbaines l’importance du consommer local, national et sous-régional, gage du maintien de milliers d’emplois et du développement à travers les entreprises et les petits métiers. » [2] . M. Cissokho insiste particulièrement sur l’importance de l’agriculture familiale.

La privatisation en cours de la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (Sonacos) risque de perturber encore plus l’économie rurale. Or la Sonacos a pour mission d’acheter la production d’arachide aux agriculteurs, d’usiner les graines, puis de les commercialiser sous forme d’huile. Selon le CNCR, « la Sonacos ne se réduit pas seulement aux usines ... Elle est un maillon important d’une filière qui procure, en bonne année, une injection de plus de 70 milliards de francs CFA [106 millions d’euros] en faveur des familles rurales, des transporteurs, des entreprises d’intrants, des banques, etc. ». En outre, la quasi-privatisation de la Caisse nationale de crédit agricole, la suppression des structures d’appui et de prestation de services aux agriculteurs, comme la Sonagraines, inquiètent le monde des campagnes auquel on impose des conditions d’existence dé plus en plus draconiennes. La pauvreté n’y a pas reculé. Or 60 % des Sénégalais sont des ruraux.

Suivant les prescriptions de ses bailleurs de fonds, le Sénégal suit une politique de privatisations tous azimuts dont les résultats sont peu probants. Celle de la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) en 1999 a ainsi conduit à une nette dégradation du réseau. Dans la confusion, l’Etat décidera d’ailleurs de reprendre le contrôle de l’entreprise et d’en modifier le statut en novembre 2009. [3] . Aujourd’hui, les coupures se multiplient, y compris dans la capitale Dakar. « L’inefficacité de la distribution d’électricité et les difficultés qui en résultent en termes de prix, de financement, de rupture et d’inégalité dans l’accès au service sont patentes », estime le rapport des Assises nationales du Sénégal, réunies, du 1 or juin 2008 au 24 mai 2009, à l’initiative de l’opposition, du monde associatif et de la diaspora. « Le déficit chronique de la production de la Senelec demeure la cause structurelle majeure, aggravée par ses problèmes d’équilibre financier, qu’un épisode éphémère de privatisation n’a pu résorber ... » [4]

Selon l’enquête de suivi de la pauvreté au Sénégal (2005-2006), 64,7 % des ménages interrogés ont des difficultés à nourrir leur famille [5] Au niveau national, les 20 % les plus riches réalisent 40 % des dépenses totales. L’accès aux équipements de base (eau, électricité, routes) et en particulier aux soins de santé primaires est très difficile pour la majorité des Sénégalais démunis ; 45,9 % de la population souffre de paludisme. Le choléra est même apparu à Dakar, fin 2004.

Toutefois, de réelles avancées ont été réalisées dans l’éducation, un poste qui absorbe 40 % du budget de l’Etat. Le taux brut de scolarisation dans le primaire est passé de 68,9 % en 1999 à environ 80 % en 2004. Initiative unique en Afrique de l’Ouest, la Case des tout-petits permet de scolariser vingt-deux mille enfants de 1 à 6 ans. La parité garçons-filles est presque atteinte, sauf dans le monde rural. En revanche, les instituteurs sont en nombre insuffisant et les écoles de formation manquent de moyens.

De même, l’enseignement supérieur est en crise et des grèves permanentes agitent les campus. Une réforme du système éducatif paraît urgente pour lutter contre le chômage et l’exode des diplômés. En effet, touchés de plein fouet par la pénurie d’emplois, les jeunes cèdent à la tentation de l’émigration, prenant parfois des risques insensés et souvent mortels.


[1Source : Banque mondiale.

[3Le 11 novembre 2009, l’Etat sénégalais a signé avec Electricité de France un partenariat public-privé transformant la Senelec en holding composée de trois filiales (distribution, production et transport).

[5.« Enquête de suivi de la pauvreté au Sénégal, 2005-2006 », rapport national, ministère de l’économie et des finances, Dakar, août 2007.