Nous en sommes tous conscients, la situation sanitaire a des implications dans tous les pays du monde. Les médias centrent leur intérêt sur le pays où ils sont implantés et abordent la situation des pays limitrophes de manière plus ou moins approfondie.

Ainsi, en Belgique, nous sommes tous au courant du nombre total de décès, des variations du taux d’occupation des lits d’hôpitaux et des mesures prises pour soutenir celles et ceux qui ne peuvent plus exercer leur métier ou sont impactés économiquement par la crise. La situation des pays plus éloignés n’est souvent abordée que de manière très sommaire.

Une situation sanitaire préoccupante

Au Sénégal, comme dans beaucoup de pays de la sous-région, la pandémie covid 19 a un impact réel. Dès la mi-mars, les autorités sénégalaises ont interdit l’accès au territoire, imposé les gestes barrières et une forme de confinement (voyages inter-urbains interdits). Les écoles ont été fermées durant plusieurs semaines. Cela a eu comme effet que le virus a été relativement contenu. La fin de la première vague, comme en Europe, a laissé un peu de répit mais dès la mi-novembre, on a constaté une recrudescence des cas.

Ainsi, on compte, au 21/12/2020, 17 758 cas de contamination et 365 décès liés au coronavirus recensés dans le pays depuis le début de l’épidémie. (Pour comparaison, en Belgique, on compte 623 760 cas de contamination et 18 545 décès pour la même période)
(Source : https://graphics.reuters.com/world-coronavirus-tracker-and-maps/fr/ )

Mais est-il pertinent de comparer les situations : richesse, organisation des services publics, structure des services sanitaires, capacité à soutenir financièrement les plus démunis ou les plus touchés,… autant d’éléments qui différencient essentiellement un pays européen d’un pays de l’Afrique de l’Ouest.

Et le travail de terrain?

En tant qu’association active dans la coopération au développement, ce qui importe à nos yeux, c’est la capacité de l’organisation à poursuivre ses tâches de préparation et de suivi de projets ainsi que l’impact des projets existants sur la vie des bénéficiaires non seulement en temps normal mais aussi en temps de crise.

Le premier point concerne donc la capacité de l’organisation à poursuivre ses tâches. En Belgique, il est clair que la plupart de nos activités sont ralenties ou supprimées : repas sénégalais, marche Adeps, … Les occasions de montrer et d’expliquer notre travail sont réduites et donc les contacts avec les donateurs ou bailleurs de fonds potentiels le sont également. Les voyages (toujours sur fonds propres) qui permettent de documenter et d’analyser sur place les projets et les résultats sont impossibles, ce qui réduit le nombre de projets menés.

Au Sénégal, c’est le manque de disponibilité de nos responsables, tous liés au monde de l’enseignement, qui a ralenti notre travail. Ainsi, la prolongation des cours jusqu’à la mi-août a laissé nettement moins de temps. Les retards scolaires accumulés impliquent également un énorme travail de remise à niveau des apprentissages qui doit être géré par les forces vives des équipes pédagogiques dont nos responsables font partie. De même, des contacts avec des entrepreneurs ont dû être retardés suite à l’interdiction de circulation (qui a perduré jusqu’à la mi-juin.)

Certains travaux ont dû être menés de toute urgence pour éviter que des bâtiments soient laissés inachevés durant l’hivernage (ce qui serait dramatique pour un bâtiment en voûte nubienne).

Des revenus, malgré tout

Le second point concerne l’impact des projets réalisés sur les bénéficiaires de nos projets. Bien sûr, cet impact a toujours été un point important de notre réflexion en temps « normal ». Mais vu la situation, ce point revêt une importance encore plus grande.

Comme dans bien d’autres pays d’Afrique, le secteur informel occupe une place très importante dans l’économie du Sénégal. En effet, une fraction significative de la population vit de ce que l’on appellerait ailleurs des « petits boulots ». 90% des emplois non-agricoles appartiennent au secteur informel! (source : Solsoc) Ces activités échappent à tout type d’imposition, de contrôle ou même simplement de dénombrement. (voir ce lien ).

Les revenus générés par ces activités (pêche, artisanat, petit commerce,…) sont irréguliers et peu importants. Ils permettent essentiellement aux femmes et aux enfants d’apporter un maigre revenu souvent augmenté par des aides intrafamiliales. C’est le cas des fonctionnaires par exemple dont le revenu fixe et (relativement) régulier sera redistribué partiellement entre les nombreux membres de la grande famille…. Souvent, en temps normal, ce sont 10 à 12 personnes qui subsistent grâce à l’aide financière de l’enseignant, du policier ou du fonctionnaire départemental.

En période de crise, telle celle de la covid, tout ce secteur informel s’écroule. La forte diminution des voyages rend les produits plus rares et moins accessibles. Les acheteurs se font plus rares également. Les marchés locaux disparaissent ou sont réduits à peu de chagrin. Et donc, la situation des personnes qui dépendent de ce secteur informel devient extrêmement difficile. Le salaire du fonctionnaire ne nourrit plus 10 à 12 personnes mais bien plus, entrainant  une réelle paupérisation des classes les plus  faibles.

Nos projets tournent presque tous autour de ce que nous appelons l’économie sociale :  maraîchage, transformation et valorisation de produits locaux… Ces activités sont le plus souvent essentielles pour la vie des communautés : la production de légumes et de biens de consommation courante (savon, pain, huile) au niveau local permettent de subvenir aux besoins même lorsque les sources d’approvisionnement extérieures ne sont plus accessibles comme, par exemple, en cas de pandémie.

Un exemple concret : les marchés locaux sont inondés de savons cubiques, striés, industriels, de mauvaise qualité, en provenance du Mali. En période covid, l’approvisionnement se fait plus rare et donc les savons fabriqués par les groupements tel Dakargui ou Tollu Saloum trouvent de nouveaux clients. Il en va de même pour la production de légumes.

On peut donc dire globalement que dans une période pandémique comme celle que nous connaissons les bénéficiaires des projets d’économie sociale s’en sortent un peu mieux que la moyenne.